ESPRIT DE LA RÉVOLUTION
de Saint-Just
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trimestre 1970 - 90 pages – 11,4 x 19,8 cm - 10,00 €
Avant-propos
L'Europe marche à grands pas vers sa révolution, et tous les efforts du
despotisme ne l'arrêteront point.
Le destin, qui est l'esprit de la folie et de la sagesse, se fait place au travers
des hommes et conduit tout à sa fin. La révolution de France n'est point le
coup d'un moment, elle a ses causes, sa suite et son terme : c'est ce que j'ai
essayé de développer.
Je n'ai rien à dire de ce faible essai, je prie qu'on le juge comme si l'on
n'était ni Français ni Européen ; mais qui que vous soyez, puissiez-vous en
le lisant aimer le cœur de son auteur ; je ne demande rien davantage, et je
n'ai point d'autre orgueil que celui de ma liberté.
Un Anglais m'en donna l'idée ; ce fut M. de Cugnières, de la société philanthropique de Londres, dans une lettre
savante qu'il écrivit à M. Thuillier, secrétaire de la municipalité de Blérancourt, quand elle brûla la déclaration
du clergé.
Tant d'hommes ont parlé de cette révolution, et la plupart n'en ont rien dit, Je ne sache point que quelqu'un,
jusqu'ici, se soit mis en peine de chercher dans le fond de son cœur ce qu'il avait de vertu pour connaître ce
qu'il méritait de liberté. Je ne prétends faire le procès à personne; tout homme fait bien de penser ce qu'il
pense, mais quiconque parle ou écrit, doit compte de sa vertu à la cité.
Il y eut sans cesse en France, pendant cette révolution, deux partis obstinés, celui du peuple, qui voulant
combler de puissance ses législateurs, aimait les fers qu'il se donnait lui-même; celui du prince, qui se voulant
élever au-dessus de tous, s'embarrassait moins de sa propre gloire que de sa fortune. Au milieu de ces intérêts,
je me suis cherché moi-même; membre du souverain, j'ai voulu savoir si j'étais libre, et si la législation méritait
mon obéissance; dans ce dessein, j'ai cherché le principe et l'harmonie de nos rois, et je ne dirai point comme
Montesquieu, que j'ai trouvé sans cesse de nouvelles raisons d'obéir, mais que j'en ai trouvé pour croire que je
n'obéirais qu'à ma vertu.
Qui que vous soyez, ô législateurs, si j'eusse découvert qu'on pensait à m'assujettir, J'aurais fui une patrie
malheureuse, et Je vous eusse accablé de malédictions.
N'attendez de moi ni flatterie, ni satire ; j'ai dit ce que j'ai pensé de bonne foi. Je suis très jeune, j'ai pu pécher
contre la politique des tyrans, blâmer des lois fameuses et des coutumes reçues ; mais parce que j'étais jeune, il
m'a semblé que j'en étais plus près de la nature.
Comme je n'ai point eu le dessein de faire une histoire, je ne suis point entré dans certains détails sur les
peuples voisins. Je n'ai parlé du droit public de l'Europe que quand ce droit public intéressait celui de la
France. Je remarquerai ici toutefois que les peuples n'ont envisagé la révolution des Français que dans ses
rapports avec leur charge et leur commerce, et qu'Os n'ont point calculé les nouvelles forces qu'elle pourrait
prendre de sa vertu.
Illustration Jean Dometti